« Faites sauter l’abbé » : cet été, je suis tombé, si j’ose dire, sur un buzz insolite, organisé par la « cathosphère » autour du projet d’un jeune curé, préoccupé par l’état de délabrement avancé de son église, petit joyau d’architecture vieux de 11 siècles. Celui-ci promettait, sur l’une des chaînes publiques TV, de sauter en parachute s’il obtenait suffisamment de dons pour la rénover. Quelques semaines plus tard, lors de sa matinale de rentrée du 31 août 2015, France Culture reprend le buzz au bond pour informer l’auditeur que l’abbé avait effectué son saut ; preuve que le buzz catho 2.0 avait porté ses fruits.

Ce buzz fait écho à un autre, plus inaperçu mais non moins étonnant, pour un événement auquel j’ai assisté fin mai dernier à Lyon : « Hack my church ». Comme son nom l’indique pour les plus avertis, il s’agit d’un « hackathon » organisé dans et pour une église, Sainte-Blandine précisément. Un hackathon dans une église ? Comment est-ce possible ? Cela ne confine-t-il pas à l’oxymore ? Qu’est-ce qu’une institution religieuse deux fois millénaire peut-elle avoir à faire avec le numérique du 3° millénaire ? Et quelle mouche a bien pu piquer l’organisateur de l’événement, Yves-Armel MARTIN, Directeur de l’Erasme living lab de la métropole de Lyon, associé au Bureau des Possibles, plutôt connu comme avant-gardiste du numérique (il a contribué à l’invention du concept de « Museomix », pour en savoir plus voir Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Museomix) et non comme grenouille de bénitier ?

Combiner numérique et spiritualité l’espace d’un hackathon de 36 heures peut paraître incongru. « Oui, si on se cantonne à des regards trop étroits » explique Yves-Armel MARTIN. « L’église est un lieu de vie comme un autre, il ne s’exclut pas de la vie ni du digital, il n’est pas plus figé qu’un autre » continue-t-il. « Ce n’est pas parce que l’église est gardienne d’un certain nombre de dogmes qu’elle est dogmatique. L’église est un espace d’innovation comme les autres, il suffit de voir comment au travers des siècles les techniques et les arts ont trouvé des applications dans les édifices religieux ; même récemment Messiaen ou Chagal ont pu s’y exprimer » précise-t-il.

Dont acte. Mais sur ce blog qui promeut la performance sociale on ne peut que s’interroger sur la capacité de l’organisateur de parvenir à faire travailler la carpe et le lapin, i.e. les geeks et les cathos qui a priori ne semblent pas issus du même phénotype social… Les DRH qui lisent entre les lignes me voient certainement venir avec ma petite idée derrière la tête, surtout ceux qui commencent à s’arracher les cheveux, face aux injonctions de plus en plus prononcées de leur DG de faire passer TOUS les salariés au numérique, pas seulement ceux de la génération Z…

Et Yves-Armel MARTIN de poursuivre. « Pour les deux populations, Hack my church a été perçu comme une possibilité d’ouverture réciproque. Pour les geeks ça a été perçu comme “ok, l’église accepte de se faire hacker, ça nous intéresse“. Pour les cathos, c’était plutôt : “les geeks qu’on ne côtoie pas au quotidien accepte de travailler avec nous, c’est cool !“. Ça a été perçu positivement de part et d’autre. » Précise-t-il. « Il faut dire que le curé de Sainte Blandine est quelqu’un de très ouvert, il avait envie d’aller vers cette direction. J’ai été étonné aussi de l’accueil de communautés connectées. Tous ont réussi à sortir des clichés des uns sur les autres. »

Bon d’accord, l’inédit un brin provoc’ de l’événement a sans doute contribué au rapprochement de la carpe et du lapin mais comment ont-ils réussi à se marier – pardon – à partager leur créativité durant ces 36 heures ? « On a transposé le format de Muséomix » explique Yves-Armel MARTIN. « Ce format est un marathon créatif de 3 jours proche d’un hackathon qui mélange des gens de métiers d’origine différentes avec pour objectif de produire des dispositifs ou des prototypes devant être présentés au public. »

Evidemment, une telle entreprise ne s’improvise pas, elle sous-tend une méthodologie ad hoc, calée pour mobiliser les gens, susciter les idées, constituer les équipes pluridisciplinaires et les mettre en pratiques. « Museomix dispose de 4 ans d’expérience réussie dans ce domaine » poursuit Yves-Armel MARTIN ; « le concept s’inspire des “start up week-end“ qui consiste à mettre en commun des idées sous divers formats avec personnes d’horizons différents. Le format Museomix a été transposé pour Hack my church. » Précise-t-il.

Pour ceux qui ne sont pas encore entré de plain-pied dans le numérique du 21° siècle, il convient de préciser les enjeux d‘un hackathon. Commençons par la fin, le format du livrable attendu, car il conditionne toute l’organisation. 5 formats possibles étaient proposés : une installation interactive ; un objet ou un vêtement connecté ; une appli mobile ou un service en ligne ; un espace augmenté (design d’espace) ; un format réplicable (partage collaboratif, etc.). « Pour arriver à ces livrables, un certain nombre d’ingrédients sont incontournable, et ce, dès l’accueil : un kit participant, un brise-glace, des animations pour faire connaissance, puis un référent-coach pour chaque groupe » explique Yves-Armel MARTIN. Rappelons que personne n’est sensé se connaître et que la sauce doit prendre entre les participants pour aboutir aux livrables.

Pour Hack my church, une découverte de la paroisse et de l’église avait été prévue avec à la clé un accueil par le groupe de rock de la paroisse !… « Il fallait rassurer les geeks sur l’aspect “catho“, leur faire comprendre que tout le monde avait sa place même si on restait dans le cadre de l’église avec son rythme ; mais la tolérance devait également se manifester dans l’autre sens, que les cathos acceptent le mode de fonctionnement des geeks. Au final, on a pu constater des dialogues intéressants entre geeks et cathos » continue-t-il. Quid du résultat ? « Sur les productions c’est conforme à nos attentes ; leur niveau de qualité est correct même s’il n’y en a pas eu de disruptive. Néanmoins 5 des 7 projets vont être pérennisés » s’enthousiasme Yves-Armel MARTIN. Affaire à suivre…

Face aux enjeux du numérique collaboratif – qui pour certains prospectivistes réputés représentent la 3° révolution industrielle – il est temps pour les organisations de s’y mettre, car c’est autant d’opportunités « business » à susciter. Les DRH, gardiens de l’employabilité et de l’engagement des salariés, ne peuvent y aller à reculons, ou pire, faire comme s’il n’existait pas. Si une église a été capable d’accueillir un hackathon et de le faire vivre pendant 36 heures, un(e) DRH doit être capable de faire coopérer les équipes de son organisation sur des projets numériques. Quitte à promettre à sa Direction Générale de sauter (en parachute ou en élastique bien sûr) s’il y parvient !…

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