Et si le burn-out n’était pas (qu’)une maladie ?
Volet 1 : Comment appréhender le burn-out ?
La ministre de la santé Marisol Touraine vient d’annoncer ce 21/02/2016 la mise en place d’un groupe de “médecins, experts et chercheurs (sic)“ pour qu’il définisse “médicalement le burn-out et la manière de le traiter“, pour faire écho à la proposition de loi de Benoit Hamon visant à le faire reconnaître comme maladie professionnelle. Il est navrant que psychologues et philosophes soient tenus à l’écart de ce groupe. Pire, il est affligeant que cette pathologie des temps modernes soit abordée par le seul petit bout de la lorgnette du traitement médical et non par le grand angle de la prévention globale. Le bonheur ne se prescrivant pas par l’ingestion de pilules, comment peut-on envisager de soigner le burn-out, ce malheur professionnel, avec une prescription médicamenteuse ? L’être humain est constitué d’un corps, d’une âme (au sens de psychè) et d’un esprit. Il faut cesser d’éparpiller les travailleurs “façon puzzle“ en séparant leurs différences composantes mais au contraire les rassembler ; il faut cesser d’opposer les différentes expertises mais les réunir autour de la même table car elles ont toutes leur mot à dire sur cette pathologie des temps modernes : tant pour la définir que pour la traiter.
N’importe quel médecin sait que “la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité“, comme le spécifie l’OMS (organisation mondiale de la santé) depuis 1945. La santé étant multidimensionnelle, pourquoi la cantonner au seul paradigme médical ? Pourquoi ne l’appréhender que sur l’aval i.e. ses conséquences physiologiques avec une approche curative ? Pourquoi ne pas l’appréhender plus en amont i.e. en réfléchissant sur ses causes psychologiques et noétiques (la noèse est l’instance du sens comme nous allons le voir plus bas) avec une approche préventive ? Et si le burn-out n’était pas qu’une maladie ? Et s’il était aussi une crise de foi professionnelle, une crise de sens existentielle ? C’est la thèse que je soutiens, sur la foi des témoignages de salariés en burn-out que j’accompagne en thérapie ; c’est la thèse que je présente dans un ouvrage à paraître aux Editions Eyrolles, ce prochain mois de mai.
Le burn-out est un phénomène complexe fréquemment associé voire confondu avec d’autres maladies. De fait, cette pathologie est difficile à cerner tant au niveau du concept que des pratiques. Ceci explique pourquoi elle n’est pas encore répertoriée dans la nosographie psychopathologique (les répertoires des pathologies) et ce, malgré l’état d’avancement des recherches scientifiques, nombreuses sur le sujet, depuis plus d’une quarantaine d’années. De plus le terme, désormais largement vulgarisé, est utilisé à tort et à travers, par le grand public et même par ses porte-paroles médiatiques ou politiques, le plus souvent pour exprimer tout autre chose : une charge de travail ponctuelle, un surmenage passager voire une dépression. Aussi, faut-il être prudent, ne pas nommer “burn-out“ ce qui n’en est pas.
Les journalistes et politiques ne sont pas les seuls à être en reste. Les praticiens, experts ou responsables institutionnels eux-mêmes ont parfois toutes les difficultés pour nommer les troubles mentaux, parce que les concepts desquels ils découlent sont complexes, les répertoires nosographiques sont incomplets parce qu’en constante évolution, les débats n’en deviennent que plus abscons. L’encadrement réglementaire, le diagnostic et le pronostic qui devraient être posés n’en sont que plus malaisés. De plus, la prise en charge de ces troubles étant parfois partagée entre plusieurs types de praticiens (médecin-psychiatre, psychologue et/ou psychothérapeute), il est difficile pour une poule d’y retrouver ses petits. Il convient de faire preuve de discernement, de faire la part des choses entre ce qu’il est et ce qu’il n’est pas pour ne pas le confondre avec d’autres maux qui lui ressemblent.
Lorsqu’on parle d’un sujet, il est habituel d’en donner la définition. Mais il existe un si grand nombre de définitions du burn-out qu’il est délicat de savoir à quel saint se vouer. Rien qu’entre 1974 et 1980, les psychologues Baron Perlman et Alan Hartman dénombraient déjà 48 tentatives de définition du terme ! Du fait qu’il regroupe un ensemble de symptômes – ce que sous-entend le premier mot de son nom français de “syndrome d’épuisement professionnel“ –, aucune définition ne parvient à qualifier en peu de mots ce phénomène sans occulter certains de ses symptômes. Les chercheurs Wilmar Schaufeli et Dirk Enzmann ont tenté d’établir une liste exhaustive de ces symptômes, en analysant l’ensemble des recherches effectuées sur le sujet. Ils ont dénombré 132 symptômes ! De plus, cette pathologie se manifestant de façon protéiforme, ceux qui en souffrent ne présentent pas systématiquement les mêmes symptômes. Par ailleurs, Le burn-out est décrit par les experts tantôt comme un processus tantôt comme un état, tantôt comme les deux, ce qui rajoute à sa complexité. En tant qu’état, il est l’aboutissement, le stade final d’un processus d’épuisement, d’où son nom français. En tant que processus, il se déroule en plusieurs phases successives, selon différentes modélisations.
Enfin, le burn-out combine causes et conséquences. Les conséquences, plus ou moins visibles, sont la partie émergée de l’iceberg du phénomène. Les causes, plus invisibles, figurent la partie immergée de l’iceberg ; ce sont toutes ces exigences (organisationnelles, interpersonnelles, intra-personnelles) qui viennent solliciter les travailleurs et qui combinées entre elles forment un cocktail explosif conduisant au burn-out. De fait, le burn-out peut être la conséquence du stress professionnel chronique d’un individu qui ne parvient plus à faire face aux exigences de son environnement professionnel et qui voit décliner ses ressources, son idéal de soi au travail (idéaux à la racine de sa motivation) et son estime de soi (l’évaluation qu’il se fait de lui-même). In fine, une fois le burn-out consommé, c’est l’image de soi (l’identité psychologique) qui s’effondre ; le travailleur n’y croit plus, la foi (en ses compétences, son utilité sociale, sa performance…) ne déplaçant plus les montagnes (exigences professionnelles et personnelles toujours plus importantes). C’est cette dialectique qu’entretiennent ces trois instances de l’esprit humain – idéal de soi, estime de soi et image de soi – dans le phénomène du burn-out (souvent négligé par des praticiens qui sont insuffisamment sensibilisés au fonctionnement psychologique et noétique de la personne humaine), qui nous paraît aux fondements de cette pathologie.
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